Déclaration de Mike De Leon pour le Festival des 3 Continents de Nantes, novembre 2022

Publié le 21 novembre 2022 à 17h24

(FR)

Déclaration de Mike De Leon
pour le Festival des 3 Continents de Nantes, novembre 2022

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au Festival des 3 Continents de Nantes de proposer une rétrospective complète de mes films. Il y a un dicton en tagalog, ma langue maternelle, « Huli man at magaling, naihahabol din ». Ou librement en français, « quelque chose de valeur peut arriver tard mais mieux vaut tard que jamais ». J’ai fait mes premiers pas dans le cinéma international en 1982 lorsque deux de mes films ont été projetés à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Puis un autre de mes films a été projeté au Festival international du film de Venise en 1984, après quoi j’ai disparu de la carte. La dernière fois que j’ai participé à un Festival International du film avant Cannes Classics cette année, c’était à Busan, en 2018, pour le film, Citizen Jake. À cette époque, une génération entière de nouveaux cinéastes philippins était apparue et imprimait sa marque sur la scène internationale. On me dit qu’il y a beaucoup de nouveaux films passionnants en provenance des Philippines aujourd’hui. Malheureusement, il y a aussi des films financés par l’État qui sortent des égouts de Malacañang (le palais présidentiel).

Une chose qui rendait mes films un peu différents de la plupart des autres films philippins était qu’ils ne s’attardaient pas sur la description de la misère et de la pauvreté, ce que les festivals internationaux adorent dans les films du soi-disant tiers-monde. Au lieu de cela, ils traitaient de la corruption des classes moyennes et supérieures philippines, du régime patriarcal abusif dans la famille philippine ou de la formation fasciste inculquée dans les fraternités étudiantes. Si j’ai la chance de faire un nouveau projet, je continuerai à faire de tels films, peut-être une histoire d’amour sur les riches oisifs se vautrant dans des richesses obscènes tout en s’inquiétant d’assister au prochain défilé de mode à Milan, peut-être une comédie noire sur nos dynasties politiques et à professer un amour profond et leur attention à la vie des Philippins qui travaillent jusqu’à la mort, voire la torture. Ce sont quelques-unes des horreurs qui sont endémiques dans notre culture et notre histoire depuis la mauvaise gestion coloniale des Espagnols, des Américains, des Japonais et, plus récemment, le règne brutal de nos dictateurs locaux. Nous semblons entretenir une industrie artisanale de voleurs de classe mondiale, de tyrans en herbe… ou de mauviettes. L’Amérique peut apprendre une chose ou deux de nous, dans une sorte de colonialisme inversé.

Mais sérieusement, j’ai la chance que mes films soient rassemblés en un seul endroit, comme la rétrospective en cours au MoMA, et aussi ici, à Nantes au Festival des 3 Continents, pour que le public puisse voir et juger par lui-même leurs mérites ou leur absence, ou si je mérite cette rétrospective. En terminant, je voudrais remercier deux Français qui ont cru en mon travail. Pierre Rissient, qui a découvert mes films, et Vincent Paul-Boncour qui les a redécouverts.

Merci à tous.

(EN)

Statement by Mike De Leon
at the Nantes Festival des 3 Continents, November 2022

I would like to express my deepest gratitude to the Nantes Festival des 3 Continents for featuring a full retrospective of my films. There is a saying in Tagalog, my native language, “huli man daw at magaling, naihahabol din.” Or freely in English, something of value may come late but better late than never. I first made my mark in international cinema in 1982 when two of my films were shown at the Directors’ Fortnight in Cannes. Then another film of mine was shown at the Venice International Film Festival in 1984, after which I disappeared from the map. The last time I participated in an international film festival before Cannes Classics this year was in Busan, in 2018, for the film, Citizen Jake. By that time, an entire generation of new Filipino filmmakers had appeared that were making their mark on the international stage. I am told that there are many exciting new films coming from the Philippines today. Unfortunately, there are also state-sponsored films coming from the sewers of Malacañang (Presidential Palace).

One thing that made my films a bit different from most other films coming from the Philippines was that they did not dwell on the depiction of misery and poverty, something international festivals love about films from the so-called Third World. Instead, they dealt with the corruption of the Filipino middle and upper classes, abusive patriarchal rule in the filipino family or the fascist training inculcated in student fraternities. Should I be fortunate to do new work, I will continue to make such films, perhaps a love story about the idle rich wallowing in obscene wealth while worrying whether to attend the next fashion show in Milan, perhaps a black comedy about our political dynasties and their professed deep love and concern for the lives of the Filipinos they work to death, or even torture. These are some of the horrors that have been endemic in our culture and history since the colonial misrule of the Spanish, the Americans, the Japanese, and most recently the brutal rule of our home-grown dictators. We seem to be nurturing a cottage industry of world-class thieves, wannabe tyrants…or wimps.  America can learn a thing or two from us, in a reverse kind of colonialism.

But seriously, I am fortunate that my films are gathered in one place, like the ongoing retrospective at the Museum of Modern Art, and here, as well, at the Festival des 3 Continents in Nantes, for audiences to see and judge for themselves their merits or lack of them, or whether I deserve this retrospective at all. In closing, i would like to thank two French men who have believed in my work. Pierre Rissient, who discovered my films, and Vincent Paul-Boncour who rediscovered them.

Thank you all.